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Fatima al-Samarqandi L’Héritage Occulté d’une Pionnière du Féminisme Au XIIᵉ

  • Photo du rédacteur: MinbarInfo GMP
    MinbarInfo GMP
  • 18 mars
  • 4 min de lecture

Samarcande, 1150. Une femme enseigne le droit à des hommes.

 

Dans une salle d’étude aux murs ornés de calligraphies coraniques, une voix claire résonne. Fatima al-Samarqandi, faqiha (juriste) hanafite, commente un verset du Coran devant des étudiants médusés.

Parmi eux, son futur mari, Alaa al-Din al-Kasani, qui écrira plus tard : « Elle était mon soleil. Sans elle, mes écrits n’auraient été qu’obscurité. »

Pourtant, son nom a disparu des manuels.

Qui était cette femme dont les interprétations audacieuses du fiqh (droit islamique) défiaient le patriarcat de son temps ? Et pourquoi son combat résonne-t-il si cruellement aujourd’hui, à l’heure où des pays musulmans peinent encore à reconnaître le droit des femmes à diriger, hériter ou simplement exister ?


L’éducation, une révolution silencieuse

Née en 1120 dans une famille de juristes de Samarcande, Fatima grandit dans une oasis de savoir. Son père, Muhammad al-Samarqandi, lui transmet sa passion pour le fiqh hanafite, courant réputé pour son recours à la raison (ra’y) et son adaptabilité.

« Celui à qui Allah veut du bien, Il rend savant en religion » (Bukhari)

À une époque où l’accès des femmes aux sciences religieuses est toléré… mais discrètement, elle étudie les hadiths, le tafsir (exégèse) et la philosophie.  

Un hadith guide ses pas : « Rechercher la science est une obligation pour tout musulman et toute musulmane » (Ibn Majah).

Elle en fera une arme. À 20 ans, elle rédige des fatwas sur des questions sensibles : droits successoraux des femmes, conditions du divorce, éducation des filles.

Ses arguments ? Puisés dans le Coran lui-même :

- « Les hommes ont une part de ce qu’ont laissé les père et mère, et les femmes une part de ce qu’ont laissé les père et mère » (Coran 4:7).  

- « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez » (Coran 49:13), qu’elle cite pour défendre la mixité éducative.  

- « Allah commande l’équité » (Coran 16:90).


Quand le droit islamique devient outil de justice sociale

En 1145, une veuve de Boukhara la consulte : son beau-frère a saisi son héritage, arguant qu’« une femme ne gère pas d’argent ». Fatima lui rappelle le verset 4:32 :

« Aux hommes revient une part de ce qu’ils ont acquis, et aux femmes une part de ce qu’elles ont acquis. »

Puis, dans une fatwa retentissante, elle exige que la charia soit lue à la lumière du contexte :

« Priver une mère de nourrir ses enfants sous prétexte de tradition, n’est-ce pas trahir l’esprit du Coran? »

Ses détracteurs l’accusent de « troubler l’ordre social ». Elle répond par un hadith prophétique méconnu : « Les femmes sont les sœurs jumelles des hommes » (Abu Dawud), et crée un réseau de cadis (juges) formés à ses méthodes.

Son influence est telle que le sultan Ahmed Sanjar, souverain seldjoukide, la consulte pour réformer les lois sur les orphelins.


Effacée par l’histoire, mais pas par le temps

À sa mort en 1185, Fatima laisse des dizaines de traités. Mais les chroniqueurs de l’époque omettent son nom, attribuant ses travaux à son mari, qui a rédigé “Bada’i’ al-Sana’i’”, un commentaire approfondi du livre “Tuhfat al-Fuqaha’” écrit par le père de Fatima, Muhammad ibn Ahmad al-Samarqandi.

Ce commentaire, accepté comme dot lors de leur mariage, est considéré comme un chef-d’œuvre du fiqh hanafite et est toujours enseigné dans les écoles hanafites contemporaines.

Pourquoi cet oubli ?  

- Un paradoxe médiéval : Si l’Islam a permis l’émergence de savantes comme Aïcha (épouse du Prophète) ou Nafissa al-Ma’muna (mystique du Caire), leur héritage fut souvent minimisé.

- La peur du précédent : Au XIIIᵉ siècle, le théologien Ibn Taymiyya écrit : « Une femme ne peut enseigner à des hommes pubères » – une tentative de clore une époque où des Fatima pouvaient exister.

- La destruction des traces : Les invasions mongoles (1219) réduisent en cendres les bibliothèques de Samarcande, emportant ses écrits.  

Et si Fatima était la clé d’un Islam réconcilié avec l’égalité ?

Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour réhabiliter son héritage comme en Turquie par exemple où l’universitaire HidayetTuksal cite Fatima pour légitimer les femmes imames.

Pourtant, les résistances persistent :  

- Certains Pays interdisent encore aux femmes de conduire, d’aller étudier et même de se parler, au mépris de la maxime hanafite : « Ce qui n’est pas interdit par le Coran est permis ».

- En France, certaines mosquées refusent l’accès aux femmes, oubliant que la mosquée du Prophète à Médine était mixte.  

Fatima al-Samarqandi rappelle à tous que l’Islam a déjà répondu à ces défis :

- Son recours à l’ijtihad (effort d’interprétation) répond au verset (Coran 2:286) :

« Allah n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. »

- Son féminisme pratique incarne le verset (Coran 4:19) :

« Vivez avec elles en bonne entente. »    

Redécouvrir Fatima, c’est rendre justice à un Islam qui célébrait le savoir féminin bien avant #MeToo.

Sur un continent européen où l’islamophobie se nourrit de clichés patriarcaux, son histoire prouve que l’égalité hommes-femmes n’est pas un « concept occidental », mais une graine plantée dès les premiers siècles de l’Hégire.  

« Ne soyez pas comme ceux qui ont oublié Allah » (Coran 59:19).


Minbar Info, en publiant cet article, s’inscrit dans son sillage : celui d’un dialogue entre hier et aujourd’hui, où les versets du Coran ne sont pas des murs, mais des ponts.

Comme elle l’écrivait dans une lettre à une disciple : « Le savoir est une lumière. Et la lumière, même voilée, finit toujours par percer. »  

 



AMINE BENROCHD

©Minbarinfo 2025


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