Dans nos précédentes éditions, nous avions publié une série d’articles sur l’Histoire de la Pluralité en Islam. Nous avions alors évoqué les premières écoles de pensées musulmanes, qui avaient très tôt proposé de nouvelles interprétations de l’Islam et des fondements théologiques aussi enrichissants qu’originaux pour l’ensemble de la communauté musulmane.
Nous avions également parlé de cette importante branche minoritaire de l’Islam qu’est la shi’a ‘Alî (parti de ‘Alî) ou de Chiites, qui ont décidé leur retraite pour ne pas prendre part, à « un pouvoir mécréant ».
Enfin, dans un troisième volet, nous avions traité du kharijisme, dont la doctrine rejoint en certains points le courant les mutazilites, ainsi que ses propres courants que sont le Suffrisme ou l’Ibadisme.
Dans ce dernier volet consacré au pluralisme en Islam, nous nous focaliserons sur le sunnisme, né en 750, lorsque la dynastie Abbasside de Baghdad, du nom d’al-‘Abbâs Ibn Abd al-Muttalib, deuxième oncle du Prophète ﷺ.
Pour faire face au riche pluralisme que connaissait la Oumma, les Abbassides, qui ont remplacé les Omeyyades de Damas, vont imposer, en plus d’un califat issu de la lignée du Prophète Mohamed ﷺ, un nouveau courant théologique conciliant.
Si de nos jours la Sunna est liée aux hadiths, et représente les traditions relatives aux faits et gestes du Prophète de l’Islam ﷺ, le mot Sunna évoquait déjà avant la naissance de l’Islam une règle de conduite ou une manière d’agir, bonne ou mauvaise, attestée dans le passé et devenue une coutume.
Soulignons que durant le premier siècle de l’islam, la sunna ne constitue pas encore cette valeur normative adoptée pour l’ensemble des musulmans et n’est pas encore exclusivement celle du Prophète.
D’ailleurs les travaux de recueils des dits et gestes du Prophète ﷺ n’existaient pas encore à cette époque.
C’est à partir du 8ème siècle de notre ère que des chercheurs traditionalistes se sont mis à rechercher tous les récits oraux relatant la vie du Messager d’Allah ﷺ parmi les musulmans, censés s'être faite de bouche à oreille, de génération à génération, et ceci depuis la mort de Mohamed ﷺ près d’un siècle auparavant.
Ce n’est en fait que vers la fin du 9ème siècle de notre ère que le juriste al-Shafii donne à la Sunna une place prépondérante dans la pensée légale musulmane se fondant sur les sources religieuses, pour devenir l’une des principales sources du droit musulman, juste après le Coran.
Il est à noter que d’autres principes ont été rajoutés au droit musulman : l’Ijma’ et le Qiyas.
Le premier se définissant comme un consensus communautaire ou un compromis collectif, nécessitant l’approbation de la majorité des savants et docteurs de la loi musulmane.
Le second comme une déduction par analogie propre à déterminer la solution d'un problème de droit non prévu par les textes du Coran et de la Sunna.
Ces quatre piliers du droit islamique forment la base du Sunnisme, et constituent les fondements du rejet de la pluralité que nous avons vu intervenir dans l'histoire du monde musulman : Chiites, Khâridjites, Mutazilites, Qadiriyas, dès lors que l'opinion de la majorité des savants était celle qui fut retenue, au détriment des petites minorités de savants, largement négligées et ignorées.
Les Sunnites, qui sont aujourd’hui majoritaires au sein de la communauté musulmane, ont quatre écoles de pensée, l’école Hanafite, l’école Malikite (ou Malékite), l’école Chaféite et l’école Hanbalite.
Pour résumer, nous pouvons dire que l'école Hanafite, dite de la libre opinion, est celle qui donne le plus de liberté d'interprétation, faisant de l'estimation personnelle, l'Istihsan, une des sources de sa jurisprudence.
L'école Malikite repose sur le respect du Coran et des hadiths et n’autorise le raisonnement que lorsqu'il s'agit de prendre en compte l'intérêt général, ou Maslaha.
L'école Chaféite repose sur le consensus des juristes musulmans se référant au Coran, conciliant ainsi la tendance des gens du hadîth et le raisonnement individuel tout en faisant de la Sunna une source d'inspiration divine.
L'école Hanbalite, la plus dogmatique des écoles d’interprétation, se fonde sur une lecture littérale et rigoriste du Coran. Elle exclue toute opinion personnelle, raisonnement par analogie (qiyās) et tout rationalisme, source d’innovations pécheresses (bid‘a) par rapport au Coran et aux ḥadiths.
Comme on le voit, le Sunnisme qui s’est imposé suite à la méfiance pour ce qui était source de division, pour mettre fin aux différents courants de pensée islamique et conflits nés après la disparition du Prophète Mohamed ﷺ, n’a pu empêcher l’émergence de plusieurs autres courants encor plus radicaux, tels celui des Frères musulmans ou du mouvement sunnite d’al-Qaïda.
Les tentatives de réformer l’Islam pour l’accorder à la raison critique ne risquent guère d’aboutir, tant elles se heurtent à une profonde méfiance envers le débat critique.
Pourtant, le monde musulman a offert par le passé des exemples remarquables de sociétés pluralistes et de brillantes civilisations, telle celle qui a régné un temps à Grenade ou celle marquée par le courant Mu’tazilite durant la formidable période Abbasside.
Alors verra-t-on un jour le monde musulman retourner vers l’Islam originel qui repose sur la liberté de penser et le respect de l'autre ?
Pourrons nous de nouveau retrouver cet Islam éclairé par une approche rationnelle et la sagesse d’un discours qui, nous l'espérons tous, mettra fin au fondamentalisme et à l'intolérance ?
À chacun de nous d’en décider.
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