La question de la réforme de la pensée islamique (iṣlāḥ) se trouve posée depuis plus d’un
siècle et demi mais pas encore résolue. Plusieurs propositions ont été faites à ce sujet en
Orient comme en Occident provoquant des interrogations, des désaccords voire des tensions
dans et en dehors du monde musulman.
L’iṣlāḥ est la conséquence du progrès, de l’avancée non seulement sociale, mais aussi
religieuse et morale.
Ce terme arabe désigne l’attitude réformiste de la Nahḍa qui se définit
dans l’encyclopédie de l’islam comme étant un terme dérivé de la racine arabe نَهَض (n.h.d),
qui signifie « se lever », « se dresser », avec une perspective active.
Ce substantif Nahḍa est souvent traduit par « Renaissance », traduction qui mène à la confusion, car elle réfère implicitement au XVIe siècle européen et au mouvement de retour au passé gréco-romain1, alors que la Nahḍa est apparue à la fin du XVIIIe siècle.
Depuis la Nahḍa à nos jours, plusieurs courants de pensée se sont multipliés et différents
acteurs proposent des méthodes pour la revivification de la pensée islamique.
Il y a ceux qui s’inscrivent dans la tradition prophétique comme Rifāʽa al-Tahtāwī, Ḏj̲amāl al-Dīn al- Afg̲h̲ānī ou Muḥammad ʿAbduh qui prônent un retour à l’esprit des textes fondamentaux (le Coran et la Sunna) pour un renouveau par la modernisation de l’interprétation du sens et l’adaptation de la loi religieuse (la s̲h̲arīʿa) aux circonstances.
Certains pensent que ce mouvement réformiste a été initié par Ḏj̲amāl al-Dīn al-Afg̲h̲ānī, qui
a été un propagandiste, il semble avoir conservé constamment le même objectif : utiliser la
culture traditionnelle et les motivations religieuses des musulmans pour les amener à résister sur tous les plans (politique, économique, culturel) à l'invasion occidentale2 .
Parmi ceux qui ont suivi son œuvre est son disciple Muḥammad ʿAbduh, qui a été un révolutionnaire et qui avait un programme diffèrent de celui de son maître, il estimait qu’uniquement la réforme progressive pouvait mener à des résultats et qu’une réforme de l’enseignement, avant tout de l’enseignement moral et religieux, était la condition indispensable de tout progrès.
Après ces deux réformistes, on cite Ḏj̲urdj̲ī Zaydān3 , qui est un représentant remarquable de la Nahḍa, il est considéré comme le plus illustre des pionniers à la présenter dans sa
monumentale Histoire littéraire de la langue arabe4 .
Pour lui la Nahḍa, c'est le temps de la Renaissance, qui commence, avec l'occupation française en Égypte et qui correspond à l’avènement de la civilisation moderne (al-tamaddun al-ḥadīṯ) en Égypte et en Orient grâce aux contacts avec l'Occident5 .
Son contemporain Ras̲h̲īd Riḍā est un des auteurs les plus productifs et influents du réformisme. Il a fondé la revue al-Manār, qui avait pour objectif d'articuler et de diffuser les idées réformistes.
D’autres tels que Nasr Hamid Abu Zayd, Abdolkarim Soroush ou Mohammad Mojtahed
Shabestari proposent des stratégies pour dissocier le sens coranique des significations que les musulmans lui ont conféré.
L’œuvre de Nasr Hamid Abû Zayd est considérée comme une étape importante dans l'histoire de la lutte pour la liberté et la modernité.
Il figure donc parmi les libéraux les plus connus, car il appelle à faire une recherche libre dans l’héritage religieux et à libérer la pensée. Pour lui, le champ du renouveau devrait être illimité.
Les travaux de Abdolkarim Soroush invitent à faire une distinction entre la religion en tant qu’une révélation de la part de Dieu et la religion comme un savoir bâti sur des facteurs socio-historiques.
Quant à Mohammad Mojtahed Shabestari6 , il s’inspire du courant herméneutique
philosophique et religieux pour soutenir une pluralité de lectures de l’islam et critique la «
version officielle de la religion ».
Il refuse la sacralisation de la compréhension de la religion, qui est, pour lui, un phénomène humain7 . Il est d'accord avec l'opinion qu’entre le texte et le croyant, est interposé le processus d'interprétation, qui est personnel et individuel.
On trouve aussi parmi les réformistes, les intellectuels qui s'efforcent pour une refondation
des sociétés arabo-musulmanes sur la base d’une rationalité critique comme le cas de
Mohammed Abed Al-Jabri qui propose une approche pour une nouvelle perception du
patrimoine traditionnel (al-turāt̲h̲) basée sur une méthode rationnelle qui permet de prendre
des distances par rapport à la tradition, pour y revenir ensuite avec un regard objectif, tout en
étant en mesure de mettre la tradition en rapport avec la contemporanéité.
Et le cas de Mohammed Arkoun qui qui n’adopte a priori aucune posture identitaire ou apologétique, et qui propose une approche intégralement scientifique de tous les aspects de l’islam en particulier du Coran.
Sa parole a pour titre la construction humaine de l’islam, ces travaux n’ont pas été épargnés des critiques par ses adversaires dont Ali Harb et Taha Abderrahmane.
Les différentes méthodes proposées, par les réformistes traditionnels ou contemporains, ont
subi des critiques. Celles suivies par les réformistes du XIXe siècle ont été jugées par certains
penseurs comme Amīn al- H̱ūlī, Mohammed Arkoun et Rachid Benzine.
Ce dernier trouve que leurs manières de critiques n’étaient pas scientifiques et techniques, dans le sens où qu’elles ne soient pas focalisées sur la construction historique de l’islam, mais plus tôt sur la mauvaise pratique de l’islam8 .
Considéré parmi les nouveaux penseurs de l’islam, il présente des idées et des approches pour l'étude contemporaine de l'islam qui relèvent de l'articulation de la pensée islamique aux sciences humaines et sociales modernes.
Il souhaite ainsi faire connaître au public francophone de nouvelles tendances (minoritaires mais pionnières) dans la production intellectuelle musulmane de notre temps et contribuer à ouvrir davantage l'espace de débat pour la pensée critique au sein de l'islam9 .
1 Voir : L’Encyclopédie de l’islam en ligne, article : Nahḍa, iṣlāḥ.
2 Voir : Encyclopædia Universalis en ligne (version française) : Ḏj̲amāl al-Dīn al-Afg̲h̲ānī.
3 Ecrivain Libanais réformiste (1861-1914). Témoin et acteur de la renaissance arabe.
4 Son ouvrage cité est en 4 volumes imprimé au Caire en 1914, intitulé : « Taʾrīk̲h̲ ādāb al-lug̲ h̲a al-ʿarabiyya ».
5 Anne-Laure Dupont, Ǧurǧī Zaydān (1861-1914) : Écrivain réformiste et témoin de la Renaissance arabe, Institut Français du Proche-Orient, Beyrouth, 2006, p 9-11.
6 Farhad Khosrokhavar et Mohsen Mottaghi, Les intellectuels contre la théocratie ? Association Vacarme | « Vacarme » 2014/3 N° 68 | pages 183 à 198.
7 Ibid.
8 Rachid Benzine, Les Nouveaux Penseurs de l’islam, 115,283.
9 Nikola Tietze, Archives des sciences sociales des religions, 136 -13| octobre - décembre 2006.
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