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La Compréhension de l'Autre : Pierre le Vénérable, Ibn Hazm et la Réfutation Eclairée

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    MinbarInfo GMP
  • 7 févr.
  • 4 min de lecture


L'histoire de la théologie et de la philosophie regorge d'exemples de personnalités ayant prôné la connaissance comme moyen de réfutation.

 

Saint Augustin, par exemple, s'efforçait de comprendre les doctrines de ses opposants dans sa lutte contre les hérésies, afin de les combattre plus efficacement.

 

Plus tard, au Moyen Âge, Thomas d'Aquin analysait les philosophies grecques et arabes pour les intégrer dans sa propre synthèse théologique, tout en contestant certains de leurs concepts.

 

Éloignée des jugements rapides et des simplifications, la réfutation par la compréhension encourage une immersion approfondie dans les écrits et les croyances de l'autre, favorisant ainsi la perception des subtilités et des contradictions, permettant une réfutation éclairée.

 

Ce processus a également été illustré par deux grandes figures telles que Pierre le Vénérable et Ibn Hazm. Une approche quirevêt une importance capitale dans le contexte actuel, souvent marqué par des tensions religieuses et culturelles.

 

Pierre le Vénérable : La Traduction comme Outil de Réfutation

 

Pierre le Vénérable (1092-1156), abbé de Cluny, est l'incarnation même de cette recherche de connaissance en vue de réfuter l'adversaire. Dans un monde traversé par les croisades et les frictions entre chrétienté et Islam, il lance un projet ambitieux : réaliser la première traduction latine intégrale du Coran.

 

Ce travail est confié à Robert de Ketton et à son équipe en Espagne, avec pour objectif de rendre accessible le texte sacré de l'Islam aux érudits chrétiens, enrichi de plusieurs autres écrits arabes reconnus.

 

La motivation de Pierre le Vénérable, bien que polémique,était sans équivoque : pour s'opposer à l'Islam de manière efficace, il était essentiel de le connaître en profondeur.

 

Il considérait que les chrétiens manquaient des outils intellectuels requis pour débattre avec les musulmans sur un terrain d'égalité. La traduction du Coran et la création d'un corpus de documents avaient pour but de pallier ce manque.

 

Notons qu’au XIIe siècle en Occident, l’Islam, comme aujourd’hui, était le plus souvent perçu à travers les stéréotypes développés par les polémistes…

 

L'approche de Pierre le Vénérable se caractérisait également par son inclination vers des débats argumentés, en opposition à la violence des croisades. Il souhaitait établir un affrontement intellectuel où la maîtrise des textes et des doctrines musulmanes mettrait en lumière les erreurs et les incohérences de l'Islam.

 

Il est essentiel de souligner que le souhait de comprendre l'Islam ne se traduisait pas par une acceptation de ses principes. Pierre le Vénérable demeurait ferme dans sa critique de cette religion, qu'il voyait comme une hérésie, et considérait le prophète Mohamed (QSSL) comme une figure controversée.

 

Son but principal était de préserver les chrétiens de l'influence islamique et, dans la mesure du possible, d'amener les musulmans à la conversion par le biais du dialogue et de la persuasion.

 

Ibn Hazm : Une critique de l'intérieur

 

Bien avant Pierre le Vénérable, Ibn Hazm (994-1064), un érudit musulman andalou, abordait des questions similaires dans son étude des religions juive et chrétienne.

Ayant une connaissance approfondie des textes et doctrines de ces dernières, il s'engageait dans une critique rigoureuse, mettant en lumière ce qu'il percevait comme des contradictions et des incohérences.

 

Dans son ouvrage : Le livre de la distinction concernant les communautés religieuses, les passions et les sectes, Ibn Hazmréalise une analyse comparative des religions, fondée sur une compréhension des textes sacrés et des traditions. Bien que son approche soit souvent polémique, elle démontre un désir de saisir les religions de l'intérieur, ce qui lui permettrait de mieux en débattre.

 

D’Ibn Hazm, nous pouvons d’emblée dire qu’Il est enfant du milieu dirigeant de Cordoue à la fin du califat, où son père était vizir du gouvernement amiride.

 

Après les péripéties consécutives à la révolution de Cordoue de 1009, période de guerre civile et d’effondrement du califat de Cordoue, marquée par des luttes de pouvoir entre factions ethniques et des révoltes contre le pouvoir en place, Ibn Hazmva jouer, pendant quelques années, un rôle politique actif en participant aux tentatives de restauration omeyyade.

 

C’est dans ce contexte orageux qu’il va écrire : Le Collier de la Colombe, le plus connu et le plus « populaire » de ses nombreux livres, un document sociologique et psychologique d’un très grand intérêt qui fournit, sur la mentalité andalouse et sur la condition féminine dans le milieu aristocratique andalou, qu’elle soit celle des femmes de haute extraction ou celle des esclaves, des informations précieuses au sujet de l’Espagne musulmane.

 

Il rejettera le malikisme officiel pour adhérer à l’école juridique et religieuse dite « zahirite », qui prétend mettre de côté la somme de commentaires du Coran et des hadith vénérées par les juristes de l’époque occidentale, sans cesse revues de seconde main ou abrégées, pour revenir aux sources étouffées par cette glose.

 

Pour les Zahirites, le Coran et le hadith ne doivent être interprétés que dans leur sens clair et évident (zahir).

 

Ce principe de lisibilité, pouvant avoir pour corollaire des positions conservatrices et littéralistes, peut également s’avérer générateur d’une démarche plus novatrice en offrant dans le cas où rien ne peut être élaboré, une aire d’autonomieet de libre interprétation.

 

Comme on le voit, les exemples de Pierre le Vénérable et d'Ibn Hazm soulignent l'importance de la connaissance dans les débats théologiques et interreligieux.

 

Nonobstant son caractère polémique, la réfutation par la connaissance constitue une dynamique substitutive à l’ignorance et à la violence. Elle implique en effet de mieux connaître les textes et les doctrines de l’autre afin de mieux dialoguer et de mieux vivre ensemble.

 

Or, dans un contexte de tensions religieuses et culturellescomme celles que nous vivons, il est plus qu’urgent de proposer cette alternative. Étant donné les préjugés et les stéréotypes déployés à l’égard d’une partie de la société, la connaissance de l’autre permet de dépasser la caricature dans le but de s’inscrire comme un autre, non pas pour se conformer à sa croyance, mais pour savoir, le cas échéant, pourquoi il pense comme il le pense.

 

La connaissance permet alors la réfutation en tant que telle, tout autant que le dialogue et l’élaboration d’un monde commun pacifique et juste.

 

 


AMINE BENROCHD

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